Le feu appelle le silence.
Quand une émotion survient, elle nous porte un message de nos profondeurs. Elle nous dit un peu de notre mystère, révélant ce qui fait mal ou ce qui réjouit. Elle nous conduit vers nos blessures secrètes. Parfois, nous reconnaissons ce qui est là, parfois, seule la manifestation de l'émotion existe...
Cela laisse en nous comme un mystère pour lequel nous ne trouvons pas d'explication, que ce soit un mal être ou un bien être... Notre éducation ne nous a pas appris à nommer ces émotions, ne nous a pas appris à s'arrêter, pour au moins prendre conscience qu'il se passe quelque chose à l'intérieur de nous.
Depuis lundi soir, et ce brasier dévoreur de la forêt de Notre Dame, c'est une émotion collective, presque universelle qui a surgi, en temps réel. Quelle souffrance commune vient-elle révéler ? Si nous ne voulons pas regarder, le processus, comme chez tout un chacun, arrivera à son point culminant puis disparaitra. Restera juste le souvenir des images, le ressenti de ce mal être partagé ensemble.
Je ne veux plus ne pas regarder, ne pas aller chercher ce qui fait mal ainsi. Je veux entendre ce que ce feu veut nous dire, ce que cette destruction raconte en nos inconscients collectifs, en nos êtres.
Depuis de nombreux mois, nous avons assisté à des scènes de violence, réelles. Nous avons entendu le silence se briser et crier l'absurde des scandales révélés. Nous étions déjà malmenés par ces peurs de l'incertain, de la non vision, de la non compréhension des agissements de certains, des discours des autres. Nous respirions un peu mieux quand nos plus jeunes ont pris la parole, ont osé se lever et marcher.
Et puis, lundi, chacun de nous a vacillé en son temple intérieur. Car la douleur qui est là est celle de l'étouffement de ce qui est, en nous, le plus sacré. Le feu qui a détruit en partie, ce formidable vaisseau de pierres, n'a pas détruit tout ce que nous pouvons relier à notre histoire, à notre civilisation. Au contraire, il a fait ressurgir tous les événements historiques mais aussi toutes nos histoires personnelles qui nous reliaient à ce lieu saint et protecteur. Ce feu nous montre ces trous béants, quand nous ne pouvons plus nous relier à plus grand que nous dans l'espace et dans le temps. La flèche qui tournoie dans cette spirale de flammes, fléchit, et tombe. Ne nous renvoie-t-elle pas au vide que nous côtoyons quand il n'y a plus de projet commun, quand nos vies peinent parfois à donner sens à ce que nous vivons, ce que nous faisons, ce que nous agissons ?
Feu qui nous oblige à nous arrêter, à regarder en face ce qui nous fait si mal... Ce mal, c'est cet éloignement de nous-mêmes, de nos trésors enfouis, fragiles, mais seuls vrais.
Que ce Feu nous aide à reprendre contact avec ce temple sacré en chacun de nous, qu'il nous montre le chemin à emprunter pour lui donner vie dans ce temps d'aujourd'hui. Qu'il nettoie les fausses représentations de ces chemins de Dieu qui nous conduisent à des enfermements.
Il y a bien un passage de la mort à la vie. Nous avons tournoyé intérieurement, en même temps que la flèche. Nous avons senti notre propre effondrement, nous avons eu peur de disparaitre.
Et puis, nous renaissons... Mais il nous faudrait maintenant un temps de silence, de vrai silence pour vivre cette traversée de ce qui doit mourir en nous, sentir au plus profond de nous-même, ce processus de vie qui reprend, et qui s'est connecté enfin, dans un souvenir douloureux, à ce Sacré en nous.