Des hommes armés de tronçonneuses !

Dans ce vallon si calme que j'habite, ont surgi de bon matin, des hommes armés de tronçonneuses. Ils se sont annoncés en parlant fort, troublant déjà la nature qui se réveillait. Puis sans question, ils ont activé leurs engins effrayants. Le bruit des arbres qui tombent s'est bientôt fait entendre. Etait-ce possible ? Ici dans cette vieille châtaigneraie, il  est vrai mal entretenue par le propriétaire ? Je sens mon cœur qui s'affole...

Et puis j'essaie d'agir, ne supportant pas mon impuissance. je téléphone au propriétaire qui me répond, oui c'est normal. J'ai vendu le bois, la société qui s'en occupe va faire une coupe rase des châtaigniers, c'est comme cela qu'on fait ici, on a toujours fait comme cela, les châtaigniers  vont repousser... Je m'en étrangle.
Peut-il concevoir que le monde a changé ? Comment trouver les mots qui lui parlent de  leurs mystères, de l'essence de vie contenue en leurs troncs parfois tortueux, si vieux pour certains ou tout fous de jeunesse pour d'autres ? Comment évoquer avec lui toutes les vies animales, nichées dans leurs troncs, cachés dans leurs souches, vivant dans leurs racines, parcourant le dédale de tous les chemins qui se dessinent entre eux...

Ce n'est plus son affaire, les tronçonneuses sont reparties à l'assaut. Il n'a pas entendu parler  de l'importance des arbres face aux canicules annoncées, ou aux pluies parfois torrentielles qui dévaleront cet espace, ravinant à outrance cet ancien vallon.

Je résiste, animée maintenant d'une colère qui me fait invoquer tous les arguments administratifs possibles: travail un jour férié ! le chantier s'arrête; travail trop près des maisons, non respect des seuils de tolérance aux décibels auxquels ils nous soumettent. Le chantier s'arrête à nouveau. Quelles nouvelles raisons vais-je trouver demain quand j'aurai au téléphone le responsable ?

Pour une fois, mes photos ne seront pas belles, mais c'est pour donner réalité à ce que je vois. Je vous épargnerai l'enregistrement audio des engins destructeurs !

Mais je sais au fond que ce ne sont que quelques jours de  répit. Sur l'autel de l'argent, ils couperont mes châtaigniers et leurs compagnons, les vieux, les jeunes, sans distinction...

Chaque arbre coupé fera aussi en moi une cicatrice. Le soir quand ils seront partis, j'irai auprès des souches sacrifiées et leur dirait pardon au nom de nous autres humains. Mon souffle fragile, aimant, tentera de réanimer leur force vitale. Je leur porterai la force de leurs congénères des vallons voisins, si beaux en ce jour d'automne chaud.

Peu à peu la vie reviendra, et j'espère que je pourrai encore m'émerveiller de leurs jeunes pousses...