Du Japon
Publié en avril 2011
Un ami m'adressait la lettre d'Anne. Il l'avait lui même reçue d'une autre amie commune qui elle-même...
Anne donne de ses nouvelles à sa famille et à ses amis. Elle habite Sendaï et raconte comment elle vit maintenant, ce qu'elle ressent, comment sa vie est éclairée autrement...
Anne, j'aurais voulu te demander à toi même si tu étais d'accord pour que je communique ce que tu écris à mes amis. Il ne semble pas possible de remonter à la source . Alors , comme, ta lettre circule déjà par de nombreux réseaux, je me permets de le faire.
Ta lettre m'a touchée, elle nous donne à voir la vie autrement ; combien fragile et précieuse, unique en chaque instant. Survivre c'est déjà vivre et avec une intensité que nous oublions.
La peur n'est pas là, dans ce renversement total et, ici, c'est souvent la peur qui gouverne, cherchant à éliminer tous les risques possibles, se crispant sur ce que nous croyons posséder.
Nous n'avons que notre humanité à partager, c'est à dire ce que nous sommes chacun, prêts à prendre soin les uns des autres quand la terre nous réveille.
Merci, Anne, de nous offrir ces lignes .
"Salutations à ma très chère Famille et à mes Amis,
Premièrement, je voudrais vous remercier pour vos bonnes pensées à mon égard. Je suis vraiment très touchée. Je voudrais également m'excuser de vous adresser un message collectif. Mais il semble être le meilleure moyen de vous envoyer mes nouvelles. Les événements ici à Sendai ont été plutôt surréels. Mais je me sens bénie d'avoir des amis merveilleux ici qui m'aident énormément. Depuis que ma hutte mérite encore plus son nom, je suis hébergée chez une amie. Nous
partageons nos vivres comme l'eau, la nourriture et un chauffage d'appoint au
kérosène. La nuit nous dormons alignés dans une pièce, nous mangeons à la
lumière des bougies, nous nous racontons des histoires. C'est chaleureux,
amical et beau. Pendant la journée nous nous aidons les uns les autres à
nettoyer ce qui reste de nos maisons. Les uns sont dans leurs
voitures, regardant les informations sur l'écran de navigation, les
autres font la queue pour avoir de l'eau potable lorsqu'une source
devient disponible. Si quelqu'un a de l'eau courante dans sa maison, il
le signale à ses voisins par une affiche ; ainsi ceux qui le
désirent peuvent venir remplir leurs sceaux et leurs bidons.
Chose étonnante ici où je suis, on ne pille pas et il n'y a pas de
bousculade dans les queues. On laisse les portes d'entrée ouvertes,
parce que c'est moins dangereux en cas de nouveaux tremblements de terre.
Les gens ne cessent de répéter, "Ah, c'était comme ça autrefois lorsque nous nous aidions les uns les autres." La terre continue de trembler. La nuit dernière il y avait des secousses toutes les quinze minutes. Les sirènes sonnent continuellement et les hélicoptères survolent la ville en permanence. Hier soir nous avions de l'eau courante pendant quelques heures, et maintenant nous avons de l'eau durant une demie journée. L'électricité est revenue cet après-midi. Nous sommes toujours privés de gaz. Mais tout ceci est par secteur. Certaines personnes sont dépannées, d'autres pas. Personne n’a pu se laver depuis plusieurs jours. L'hygiène nous manque, mais il y a pourtant des choses plus importantes que cela. J'aime le fait d'être réduit aux essentiels. De vivre complètement au niveau de nos instincts, de l'intuition, de prendre soin des autres, de ce qui est nécessaire pour la survie, pas seulement pour
moi, mais pour tous. Étranges univers parallèles apparaissent. Les maisons
sont détruites dans certains endroits, et au milieu on trouve une
maison avec futons (édredons) ou le linge qui sèche au soleil. On
voit des gens qui font la queue pour l'eau et la nourriture, et en
même temps on voit d'autres gens qui promènent leur chien. Tout ceci
a lieu simultanément.
Il y a des moments inattendus de beauté, comme le surprenant silence pendant la nuit. Il n'y a pas de voitures. Il y a personne dans la rue. Et le ciel la nuit est
parsemée d'étoiles. Normalement je peux voir seulement deux étoiles, mais maintenant le ciel entier
est rempli d'étoiles. Les montagnes de Sendai sont solides et avec l'aire vivifiante nous pouvons voir leurs silhouettes majestueuses contre le ciel de
nuit. Et les Japonais eux-mêmes sont si merveilleux. Chaque jour je retourne à ma hutte pour vérifier l'état des choses, et maintenant d'envoyer cet e-mail depuis que l'électricité est revenue, et je trouve de la nourriture et de l'eau
laissées sur le pas de la porte. Je n'ai aucune idée qui les a laissés, mais ils sont là. De vieux messieurs avec des chapeaux verts vont de maison à maison pour voir
si tout le monde va bien. Les gens parlent aux étrangers leur demandant s’ils ont besoin d'aide. Je ne vois pas de
signes de la peur. La résignation, oui, mais la peur ou la panique, non. On nous a dit qu'il y aura des post-sécousses et même d'autres tremblements de terre importants, et ceci pendant au moins un mois
ou plus. Et nous ressentons la terre continué à trembler, de roulements, de secousses et de bourdonnements. Je me sens bénie d'habiter une partie de Sendai qui est
en surélévation, un peu plus solide que d'autres parties de la région. Jusqu'à maintenant ce quartier est relativement épargné. La nuit dernière l'époux d'une amie
est revenue de la campagne, nous apportant del'eau et de la nourriture. Une bénédiction de plus.
Il me semble en ce moment que je prends conscience à travers l'expérience directe qu'il y a, en effet, une gigantesque étape Cosmique évolutionnaire qui a lieu sur
la terre entière en ce moment même. D'une manière pas tout à fait claire, à fur et à mesure que j'expérimente les évenements qui ont lieu au Japon maintenant,
je peux ressentir mon coeur s'ouvrir très grand. Mon frère m'a demandé si j'avais l'impression d'être toute petite
en raison de tout ce qui se passe ici. Non, je n'ai pas cette impression. Au contraire, j'ai l'impression de faire partie de quelque chose qui est beaucoup plus
grand que moi. Cette vague de naissance (mondiale) est difficile, et en même temps magnifique.
Merci encore pour votre tendresse et votre amour.
Je vous aime tous aussi.
Anne"