La mer est partie !
Elles ont deux ans et demi et s'expriment déjà si bien. Elles jouent avec les mots , les découvrant et cherchant à les associer aux objets, aux idées.
Les voilà découvrant la mer... Tout au long de la route, elles ont cru la deviner, ont scruté le paysage dans une attente enthousiaste. Elles expriment leur bonheur de la voir enfin briller, et le sable, les oiseaux, les bateaux... Tout cet univers se met en place, elles nous montrent leur bonheur total.
La journée s'achève, de la maison, nous pouvons dire bonsoir à la mer...
Le lendemain matin, dès le réveil, les voilà qui parlent entre elles, elles expriment leur projet d'aller sur la plage, ce qu'elles emporteront, les sceaux, les pelles et tout leur matériel qui les aidera à déplacer le sable et l'eau.
Nous sommes prêts, traversons le jardin et rejoignons la plage et alors "stupeur" !
L'une dit :" La mer est partie" , un étonnement chez l'autre! Est-ce possible ? La question revient, est-ce possible?
Nous tentons alors d'expliquer cette chose à leurs yeux incroyabbles et à laquelle nous nous étions habituée.
Les voilà qui répètent et essaient de se réconforter mutuellement, la mer est partie mais elle va revenir !
De jour en jour, cette découverte est explorée; elles se répondent maintenant entre elles et l'une dit la mer est partie,et l'autre, elle va revenir.
Fantastique dialogue qui essaie de comprendre le monde, d'aller plus loin que le visible. Invitation à contempler ce mystère de ce mouvement si régulier que rythme l'univers.
Je m'émerveille de cette capacité à penser le monde. De l'observation, surgit la question et le besoin fort d'y répondre.
Pourvu que leurs questions soient entendues vraiment, que les adultes autour d'elles ne fassent pas semblant de ne pas les entendre, ou pire, les renvoient à douter de leurs propres questions, comme si celles-ci étaient inutiles, alors que c'est la pupart du temps, notre ignorance inavouable qui, vexée, renvoie cette curiosité vivante à des non réponses mortifères.
Je ne peux m'empêcher de penser que se rejoue là cette première histoire de séparation quand, peu à peu,tous les bébés que nous avons été, ont compris que leur mère toujours présente, tout d'un coup est absente de la pièce, mais qu'elle reviendra. Alors sans crainte, quand tout se passe bien, nous pouvons continuer de jouer.
Nous n'avions pas encore les mots, seulement notre perception d'un environnement qui rassure ou au contraire nous angoisse.
En reposant cette question, en cherchant à comprendre et en répétant comme une chanson intérieure cette phrase "la mer est partie, mais elle va revenir" ne rejouaient-elles pas pour nous aussi, celle primitive, que nous n'avons pas alors pu fredonner?
Notre mère est partie, ellle va revenir.
La mer est partie, elle va revenir.
Nous la retrouverons et nous pouvons jouer pleinement du bonheur de vivre.