Je regarderai
Je regarderai ce jour d’hiver dans ce vallon que j’aime tant. La vie semble s’être retirée. Le ciel est si bas. Les nuages se sont fixés là et comme une chape, enserrent les formes, les sons, la vie.
Je m’aventurerai et attentive écouterai. Surprise ! Le ruisseau asséché l’été, chante comme jamais, et égrène ses notes de vie ; si, il y a des bruits, un peu amortis...
Je porterai mes pas un peu plus loin et regarderai attentive. Surprise ! La mousse est si dense, si verte, si humide ; le lichen, plus fourni, étincelant, vif dans ses harmonies ; les baies de cynorhodon, brûlées par le gel, donnent leur plus beau rouge.
Ce paysage que je pourrais regarder comme apparemment amorphe, tassé sur lui-même, privé de lumière se donne autrement dans sa nudité et son
dépouillement. Je reçois son mystère et sa beauté.
J’aurais pu croire que la vie était partie ; je pourrais douter… si plus jamais elle ne revenait. Au cœur de l’hiver, quand tout semble se
taire; d’autres formes sont actives et se développent avec vigueur.
Dans l’hiver de nos vies, dans nos formes sociales, dans nos histoires personnelles, puis-je entendre les rivières secrètes et les déploiements infinis, eux aussi silencieux ? Puis-je
explorer, attentive, ce qui n’est pas visible à première vue, et révèle toujours des couleurs inattendues ? Des forces de vie?
A la fin de ce jour d’hiver, tout d’un coup, je suis au-dessus des nuages et la lumière jaillit ; elle me surprend. Je réalise que je n’y croyais plus, tout en demeurant incapable d’aller au bout de cette idée si angoissante que la vie ne reviendrait plus. L’espace s’ouvre infini et, en moi courent mille galops au-delà des monts.
Le soleil est toujours là, la vie est toujours là, c’est moi qui regarde le monde et le vois disparaître.
Le soleil est toujours là, la vie est toujours là, la paix est toujours là , c’est moi qui m’en éloigne de peur d’être emportée par ces mille galops de lumière.