Vers un curieux voyage...
J'ai revu ce matin quelques uns des beaux voyages qui m'ont été donnés de vivre. Ces voyages dans des espaces autres, des terrains plus sauvages, des contrées si différentes de mon environnement habituel.
Si près du Ciel au Ladakh,si près des roches dans les terres d'Islande, si près des sables colorés dans le désert marocain... Perdue dans une marée humaine en terre d'Asie, isolée là-haut tout près du Tubkal dans le haut Atlas, bravant les terres froides et blanches au delà du cercle polaire... Et encore, encore...
Que de souvenirs, d'images qui restent gravées en moi et peut être au delà de moi... Images des paysages, présence des rencontres, souvenirs des quelques frayeurs ...
Ce matin, je me suis souvenue du soin que je mettais à préparer ces voyages, à penser au strict minimum à emporter. Vêtements, chaussures adaptés au terrain, trousse à pharmacie ... Juste ce qu'il fallait. J'ai revu ce moment au début du voyage , où le dépaysement survient, où il nous faut quitter nos repères, pour en prendre de nouveaux: s'adapter à l'altitude et attendre sagement 2 jours ... Laisser ses journées être guidées par ce Inch Allah qui oblige à ne plus vivre le temps de la même façon, quitter sa montre pour s'ajuster à la course du soleil... Affronter avec justesse, ses limites pour mieux les évaluer, pour mieux se respecter... On devient petit lorsqu'il faut franchir un col à plus de 4000m, ou braver le vent chaud du désert ou son froid dans la nuit, ou encore le vent fort descendant des glaciers islandais...
Je me suis souvenue de ces visages, de leur proximité humaine alors que nous ne pouvions qu'à peine communiquer. J'ai entendu à nouveau cette langue du cœur qui ne connaît pas les frontières quand les larmes surgissent, ou que nous chantons ensemble, ou éclatons de rire... Je me souviens aussi de la gentillesse de nos guides lorsque cela était nécessaire et cette façon à eux de nous rassurer, de leur bonheur à dire leur pays...
Je me souviens aussi de ce que nous abandonnons peu à peu à chaque jour qui passe... Il y a aussi une attention à ce qui est là, au respect de ceux qui nous offrent leur espace. Les paroles se suspendent aussi. Tout se tend vers l'essentiel, la joie de goûter l'air, de sentir des parfums inconnus, de voir pleinement ces espaces... d’être dans une présence à ce qui est...
Chaque voyage m'a fait entrer un peu plus dans l'âme du monde, m'a portée un peu plus loin dans ce chemin de conscience.
Je me suis dit que nous étions en ce temps du confinement planétaire en route pour un curieux voyage... Il nous fallait le même soin pour nous y préparer, le juste nécessaire. Il nous fallait apprendre peu à peu à se tourner vers l'essentiel, modifier nos habitudes, se laisser désorienter, chercher en soi, profond, nos ressources d'humanité... Plus que jamais, c'est la confiance en la vie, en la terre qui devait m'habiter, qui devait me faire regarder cet étrange virus qui nous secoue tous ensemble., un peu différemment de ces images médiatiques. J'ai ressenti comment chacun de mes gestes devenait plus conscient, comme chacun de mes pas en terrain difficile. J'ai pris la mesure de ce faire route ensemble pour que chacun dépasse son petit confort... J'ai laissé tomber à nouveau cette illusion de la maitrise, j'ai quitté le temps qui court... J'ai contemplé cette terre qui respire déjà mieux, je me suis mise à l'écouter, à lui parler... J'ai su, nous n'étions pas seuls dans cette traversée qui s'annonce et que tous les liens d'amitié, d'amour prenaient une densité faite de la distance imposée... J'ai compris que nous serions chaque jour un peu plus, mutuellement, des guides les uns pour les autres, nous rassurant, nous réconfortant, nous adressant de vraies paroles. Je me suis dit que je me laissais faire par cette vague inédite qui nous portait ensemble vers une terre inconnue...